Sur le site web www.suitsupply.be, on peut voir 14 images pour promouvoir des costumes sur mesure pour hommes. Les images montrent des modèles masculins en costume et chaque fois aussi un modèle féminin dont les vêtements et les poses sont provocants et sensuels.
Slogan de la campagne : Shameless.
Il s’agit de matériel compromettant et pornographique.
Cette publicité est une humiliation flagrante de la femme, est scandaleuse et témoigne d’un manque de respect total pour la femme. Quel est le message que SuitSupply essaie de faire passer? Qu’une femme devient sexuellement disponible et qu’elle va commencer à se prostituer de son plein gré pour un homme dans un beau costume ? C’est scandaleux et irresponsable que cette publicité soit affichée publiquement. Ces images peuvent être vues par des enfants à qui on impose une association entre un costume sur mesure et la bienveillance féminine. En outre, cette publicité est contraire au processus de rétablissement des victimes de violences sexuelles parce que cette publicité insinue que les femmes sont complaisantes.
Cette campagne est éhontée et présente la femme dans une situation soumise où elle est réduite à un objet de désir. Cette image de la femme ignore complètement le rôle actif que la femme occupe dans tous les domaines de la société (marché de l’emploi, privé, …) et porte donc atteinte à la dignité de la femme dans la société. Ces images créent et perpétuent des stéréotypes (contraire à l’article 4 des Règles du JEP). Cette représentation de la femme comme un objet sexuel passif donne un mauvais signal au monde extérieur et surtout à la jeunesse. Cela a un effet négatif sur l’estime de soi des filles et ne les encourage en tout cas pas à jouer un rôle actif dans la société. Cela a aussi un effet négatif sur les attitudes des garçons par rapport à eux-mêmes et dans leur relation avec les filles/les femmes. Un faux sentiment de complaisance de la femme par rapport à l’homme est créé. Quel est le lien de telles images avec le produit ? (art. 2 des Règles du JEP).
Suitsupply a utilisé la campagne à l’occasion du changement de sa collection été saison 2010 vers sa collection hiver saison 2010. La campagne se compose de différentes photos du photographe connu Carli Hermès. Sur les photos se trouvent des modèles masculins en costume de la collection hiver saison 2010 de Suitsupply. Un modèle féminin est également présent sur toutes les photos. Les photos dégagent une atmosphère sensuelle.
Selon Suitsupply, une attitude réservée s’impose quand on examine la question de savoir si une publicité est contraire au bon goût et à la décence ou aux bonnes mœurs. Ceci à cause de la nature subjective des critères concernés.
Suitsupply est d’avis que la campagne n’excède pas les limites permises. Dans les photos de la campagne, les vêtements et les poses de la femme sont provocants et sexys, certes, mais absolument pas pornographiques. Les photos ne montrent presque pas de nu. Il n’est nulle part question de sexualité explicite. Les photos sont de belle qualité et d’un haut niveau artistique, vu la composition et l’usage des couleurs. Ceci relativise une éventuelle charge érotique.
Suitsupply ne peut pas se retrouver dans la critique des plaignants selon laquelle la campagne serait défavorable aux femmes. La femme photographiée est moderne, sûr d’elle et contrôle la situation représentée. La femme n’est pas représentée comme objet de désir mais comme ‘partenaire en crime’, équivalent de l’homme.
Il n’y a pas de raison de tirer une autre conclusion parce que Suitsupply utilise les photos de la campagne non seulement sur Internet, mais aussi sur des affiches. Le fait que les photos soient visibles sur des affiches dans ses magasins ne peut pas peser dans la balance selon Suitsupply.
Selon les prévisions, la campagne actuelle sera remplacée mi-février par la nouvelle campagne à l’occasion de la collection été saison 2011. En ce moment, aucune publicité supplémentaire n’est prévue en Belgique.
Position Jury en première instance
Tout d’abord, le Jury souligne que sa compétence se limite à la publicité sur le site web. Le Jury n’est pas compétent pour le matériel publicitaire dans les magasins (comme en l’occurrence les affiches dans les vitrines).
Le Jury a constaté que la campagne se compose de 14 images avec une charge érotique.
Le Jury a estimé que le rôle qui est attribué à la femme dans les visuels pour la promotion de costumes pour hommes et la façon dont elle est représentée ne concordent pas avec l’évolution actuelle de la société et la vision par rapport à la place de la femme dans la société actuelle. Vu ce qui précède, le Jury a formulé un avis de réserve par rapport à toute la campagne.
En ce qui concerne 4 images spécifiques (nr. 2-6-8-9, dont copie en annexe), le Jury a estimé que celles-ci représentent la femme comme objet de désir et/ou comme étant soumise à l’homme. Le Jury a également estimé que ces 4 images perpétuent des stéréotypes qui vont à l’encontre de l’évolution de la société et qui portent atteinte à la dignité de la femme, ce qui est contraire aux articles 1 et 4 du code ICC, ainsi qu’aux points 3 et 4 des règles du JEP en matière de représentation de la personne. Le Jury a donc formulé une décision d’arrêt en ce qui concerne ces 4 images publicitaires.
Vu ce qui précède, le Jury a demandé à l’annonceur de supprimer ces 4 images de son site web. Pour les autres images, il est libre, dans le cadre de l’avis de réserve susmentionné, de continuer à les utiliser.
Position de l’annonceur (appel)
Suitsupply estime que les images n’excèdent pas les limites de ce qui est autorisé. La campagne Shameless est un bon mélange de style, d’humour et d’érotisme, l’essence de la mode. Nous ne nous habillons en effet pas uniquement pour avoir chaud et, espérons le, pas non plus pour couvrir la honte, mais justement pour se montrer soi-même. De là vient le nom Shameless; l’homme aussi bien que la femme se manifestent sans honte dans cette série. La femme n’est pas représentée sur les images comme objet de désir. Elle prend en effet une pose provocante et sexy, mais cela est aussi le cas pour l’homme sur les images. Il n’est pas non plus question de soumission de la femme. La femme sur les images est moderne, sûre d’elle et contrôle la situation. Dans aucune image, l’équilibre des forces entre femme et homme n’est rompu; la femme choisit consciemment son propre rôle dans la situation et s’amuse clairement comme ‘partenaire en crime’ équivalent de l’homme. Les images laissent beaucoup à l’imagination. Elles ont une charge sensuelle forte et intentionnelle. Elles semblent être des images d’un film. Les gens ont tendance à imaginer eux-mêmes le début, la fin et le contexte du film. Cela dépend seulement des projections propres sur la position dans le jeu amoureux de voir de la dominance masculine ou de l’inégalité là-dedans. L’inverse peut également être vu dans chaque photo.
Par exemple:
- dans chaque photo on peut voir qu’elle séduit et donc mène !
- l’homme fait de son mieux pendant qu’elle boit simplement une tasse de café. Qui n’est pas gentil dans ce cas ? En outre, il y a une photo avec de l’humour à l’égard de l’image stéréotypée.
- il est clair qu’elle jouit de lui accorder un coup d’œil sous sa jupe
- sur la photo avec le début d’une scène d’amour, la femme est clairement un participant actif et peut-être bien la séductrice de la scène.
Vu ce qui précède, Suitsupply est d’avis que la femme n’est pas représentée comme objet de désir, ni comme soumise à l’homme. En outre, il n’est pas question de perpétuer des stéréotypes qui sont contraire à l’évolution de la société et qui portent atteinte à la dignité de la femme.
Quand on considère des décisions antérieures du JEP, Suitsupply est également d’avis que le rejet des plaintes est raisonnable. Suitsupply a fourni une énumération de décisions antérieures pour renforcer sa position.
Défense plaignant
Réactions de plaignants à la requête d’appel:
- le plaignant en question a communiqué qu’il a encore regardé les photos et qu’il est d’avis qu’il s’agit de photos à connotation pornographique qui, en étant diffusées une fois de plus, contribuent à ce que certaines personnes appellent à juste titre la pornification de la société belge.
- un autre plaignant a voulu répondre de la manière suivante aux arguments de Suitsupply:
L’argument que cette campagne est un mélange de style, d’humour et d’érotisme ne tient pas. Seule une des images contient peut-être un élément humoristique (la tasse de café). L’élément humoristique semble plutôt fortuit et n’est pas une constante qui se poursuit dans le reste de la campagne.
La femme est montrée dans un rôle passif, soumis et il est donc question d’une relation de pouvoir déséquilibrée entre homme et femme. Il y a en effet une possibilité d’interprétation, mais il y a des éléments suffisants qui confirment l’interprétation de dominance et d’objet de désir :
- L’homme agit clairement/la femme subit, prend un rôle plus passif.
- L’homme est généralement dans une position où il a le contrôle: derrière la femme, au-dessus de la femme.
- L’homme est habillé/la femme pas.
Suitsupply affirme que la femme est le partenaire en crime de l’homme, mais on ne peut pas déduire de ces images que la femme en profite. Il n’est pas question d’interaction ou de passion entre eux.
Cette campagne perpétue des stéréotypes et a un effet négatif sur l’estime de soi des femmes et des hommes. Il s’agit d’une image stéréotypée limitative et d’atteinte à la dignité de la femme.
Les décisions précédentes du Jury auxquelles Suitsupply renvoie ne sont pas pertinentes et en outre moins offensantes que la campagne Shameless. Le plaignant en question cite également quelques décisions du Jury pour renforcer sa position.
Position Jury d’appel
I. RECEVABILITÉ
Concernant la recevabilité de la requête d’appel, le Jury a tout d’abord constaté que:
- la requête (06.12.2010) a été introduite dans les 5 jours ouvrables suivant la date d’envoi de la décision du Jury de première instance (01.12.2010) ;
- la caution a été versée ;
- la requête contient une motivation claire des raisons de faire appel.
Vu ce qui précède, le Jury a déclaré la requête d’appel recevable.
II. QUANT AU FOND
Dans un premier temps, le Jury a noté que l’appel se limite à contester la décision qui a été prise en première instance par rapport à l’arrêt des 4 images concernées. L’avis de réserve par rapport à toute la campagne n’est pas contesté.
Ensuite, le Jury d’appel a pris connaissance du contenu des 4 expressions publicitaires en question et de touts les éléments et opinions qui ont été communiqués dans ce dossier.
Par rapport au renvoi à d’autres décisions du JEP à propos d’autres messages publicitaires, le Jury remarque que ceux-ci ne sont pas comparables avec les messages publicitaires actuellement contestés. Chaque publicité doit être examinée cas par cas, en tenant compte des éléments visuels/textuels propres à chaque message publicitaire.
Le Jury d’appel a estimé que les arguments de l’annonceur en appel ne peuvent pas être retenus.
Dans un premier temps, le Jury souligne qu’il n’y a aucun lien entre le produit (costumes sur mesure pour hommes) et les images des femmes. Le concept Shameless (se montrer sans honte) s’applique surtout à la femme et aucunement à l’homme, car l’homme est toujours montré convenablement en costume. La conscience de soi de la femme et le fait qu’elle tiendrait les rênes (elle séduit et mène) n’est pas ce qui est mis en avant.
Le Jury d’appel a estimé que la femme est montrée comme objet de désir dans les 4 images spécifiques. La femme n’est aucunement montrée comme partenaire équivalent et adopte clairement une position plus passive (la femme subit ou se trouve du moins dans une position inférieure).
Le Jury d’appel a de plus estimé qu’il s’agit bien d’image stéréotypée contraire à l’évolution actuelle dans la société et qui porte atteinte à la dignité de la femme, ce qui est contraire aux articles 1 et 4 du code de la Chambre de Commerce Internationale, ainsi qu’aux points 3 et 4 des règles du JEP en matière de représentation de la personne.
Le Jury d’appel déclare donc l’appel non fondé et confirme la décision du Jury de première instance, à savoir une décision d’arrêt pour les 4 images en question (nr. 2-6-8-9, dont copie en annexe).
Le Jury a donc demandé à l’annonceur de supprimer ces 4 images de son site web.
La décision du Jury d’appel est définitive.
À défaut de réponse de l’annonceur, l’art. 11 du règlement du Jury a été appliqué.
Rue Bara 175, 1070, Bruxelles, Belgique.
E-mail: info@jep.be
Tel: +32 2 502 70 70